Lexique Médico-Juridique

 Le Livre d'Or
 

 
 
 

Les Servitudes

 

Le Code Civil a imposé dans l'intérêt même du voisin certaines limitations à son droit absolu de propriété en grevant son fonds d'un service foncier ; toutefois, ces limitations ne sont pas exclusivement réglementées par la loi qui laisse aux propriétaires la possibilité de créer eux-mêmes la servitude. Mais qu'elles soient légales ou conventionnelles, les servitudes constituent toujours un démembrement de la propriété immobilière. 

1. Notion de servitude

        1.1. Définition

C'est l'article 637 qui donne la définition de la servitude : "une servitude est une charge imposées sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire".

            1.1.1. Éléments constitutifs de la servitude

La servitude traduit essentiellement un rapport entre deux fonds ; d'ailleurs, a contrario, l'article 637 exclut tout caractère personnel au niveau de la servitude. L'un des deux fonds va devoir supporter la servitude : il est qualifié de fonds servant ou fonds assujetti ; l'autre va bénéficier de la servitude : c'est le fonds dominant

Dans le cas où la servitude va bénéficier à la collectivité on aura une servitude d'intérêt public. En réalité, la servitude présente seulement un caractère d'obligation propter rom, c'est-à-dire, dans le cadre des conceptions classiques, une obligation qui ne pèse sur celui qui est titulaire d'un certain droit réel qu'en tant que détenteur de ce fonds et dont il peut se décharger en abandonnant le bien ; le fonds dominant est la collectivité et il faut donc retenir que la servitude suppose toujours deux fonds et qu'on l'appellera obligation propter rem

                1.1.1.1. La servitude est une charge imposée au fonds servant

Cette charge implique une diminution des droits du propriétaire de ce fonds qui n'est plus maître chez lui dans les conditions de droit commun : ce propriétaire doit subir une charge qui correspond, dans le patrimoine du propriétaire du fonds dominant, à un droit réel sur le fonds servant. La notion de charge imposée servant doit être précisée à 3 points de vue : 

- la charge doit être imposée à une chose et non à une personne : l'article 686 l'énonce d'ailleurs formellement. Selon la formule classique servitus in faciendo constitue non potest (la servitude ne peut consister à faire quelque chose) : il ne peut y avoir de servitude qu'in patiendo (à supporter quelque chose).

- la charge est attachée au fonds servant et sera donc transmise à tous les propriétaires successifs de ce fonds. Ceux-ci ne pourraient s'en affranchir qu'en abandonnant le fonds comme le leur permet l'article 699.

- ce ne sont pas des choses quelconques qui sont susceptibles d'être grevées de servitude, mais seulement les terrains non bâtis et les bâtiments ayant le caractère immobilier.

                1.1.1.2. La servitude est une charge organisée au profit du fonds dominant

L'article 637 définit le profit dont bénéficie le fonds dominant : usage et utilité. La servitude apparaît comme un droit réel conféré au propriétaire du fonds dominant. De là résultent les conséquences suivantes : 

- le bénéfice de la servitude est attaché au fonds dominant, il se transmet aux propriétaires successifs de ce fonds.

- la servitude dure, en principe, autant que les fonds entre lesquels elle est établie ; elle est perpétuelle.

- une servitude ne saurait être établie que dans l'intérêt d'un fonds et non dans celui d'une personne.

                1.1.1.3. La servitude suppose que les 2 fonds dominant et servant appartiennent à des propriétaires différents : 

Nemini res sua servit (on ne peut avoir de servitude sur son propre fonds). Mais ce principe comporte certains tempéraments : 

- ainsi le co-propriétaire d'un fonds peut subir une servitude au profit d'un autre fonds dont il est propriétaire exclusif et inversement.

- d'autre part, le fait que le propriétaire de deux fonds affecte l'un au service de l'autre peut être à l'origine d'une servitude en cas de séparation ultérieure des 2 fonds : ce sera une servitude par destination du père de famille. Enfin, en général, fonds dominant et servant sont voisins et même contigus : mais leur contiguité et leur voisinage ne sont pas nécessaires : ainsi les servitudes de puisage, d'extraction de matériaux peuvent exister entre deux fonds assez éloignés l'un de l'autre.

            1.1.2. Distinction de la servitude et des charges personnelles

Cette distinction se justifie par le rapprochement de 2 articles du Code Civil : les articles 637 et 686. En résumé, l'article 686 permet aux propriétaires de créer des servitudes mais interdit d'imposer des charges personnelles : c'est la traduction du refus de retour au sevrage de l'ancien régime.

Pour sa place, la jurisprudence se place à un double point de vue : 

- sous un angle passif, elle reconnaît que les charges sont des obligations lorsqu'elles peuvent être remplies par n'importe qui. Elles constituent au contraire des servitudes lorsqu'elles ne peuvent être rendues que par le propriétaire du fonds pris en sa qualité de propriétaire. De même l'existence d'une prestation positive, une obligation de faire ne se traduira pas par l'existence d'une servitude mais d'une obligation.

- mais la jurisprudence fait quelques exceptions au principe d'exclusion de l'obligation de faire, par exemple, au niveau de la servitude de passage. Par conséquent, ces exceptions se produisent lorsque l'obligation de faire présente un caractère accessoire à la servitude, mais jamais un caractère principal. Toutefois, des problèmes se sont posés au sujet des droits de chasse, de pêche et plus récemment les clauses d'architecture ou d'habitation bourgeoise. Dans le premier cas, dans son ensemble, la jurisprudence se prononce pour la négative ; quant aux clauses d'habitation bourgeoise, la jurisprudence tend à se prononcer en faveur de la qualification de servitude.

 

        1.2 Caractères généraux de la servitude

Les traits caractéristiques de la servitude sont les suivants : 

            1.2.1. C'est un droit réel immobilier

Existant au profit du fonds dominant et pouvant être utilisé par quiconque en devient propriétaire ou usufruitier sur le fonds servant, qui en reste grevé, en quelque main qu'il passe.

            1.2.2. C'est un droit accessoire à la propriété du fonds dominant

Il ne peut être détaché de cette propriété, être cédé, saisi ou hypothéqué indépendamment d'elle.

            1.2.3. C'est un droit perpétuel

C'est là, la conséquence de son caractère accessoire ; liée au fonds dominant, faite pour son utilité, elle est en principe perpétuelle comme cette propriété. Toutefois, la volonté des intéressés peut créer des servitudes temporaires ou mettre fin à des servitudes existantes.

Mais les servitudes ne sont pas achetables : le propriétaire du fonds servant ne peut pas le libérer à prix d'argent, si le propriétaire du fonds dominant n'y consent pas ; sinon ce serait imposer à ce dernier une expropriation pour cause d'utilité privée.

            1.2.4. Les servitudes sont indivisibles

Ce qui signifie qu'elles profitent nécessairement au fonds dominant tout entier, de même, qu'elles grèvent le fonds servant dans son intégralité.

 

2. Classification des servitudes

Il existe deux grandes classifications de servitudes, l'une tenant compte de leur mode d'établissement, l'autre de leur objet ou de leur mode d'exercice.

        2.1. Classification d'après leur origine

L'article 639 distingue du point de vue de leur origine, 3 sortes de servitudes : 

            2.1.1. Celles qui dérivent de la situation naturelle des lieux

Écoulement des eaux, bornage, clôture (article 641).

            2.1.2. Celles qui sont établies par la loi ou les règlements

Les articles 649 à 685 : distances des plantations, égout des toits...

            2.1.3. Les servitudes établies par convention

Les propriétaires peuvent décider d'un commun accord de créer des servitudes sur des fonds voisins. A ces 3 sortes de servitudes, on peut ajouter une 4ème source : les servitudes créées par décision judiciaire : en effet, une ordonnance du 4 décembre 1958 permet au juge de créer une servitude dite de cour commune dont l'objet essentiel est d'imposer une certaine distance entre les constructions : POS en matière d'urbanisme et le législateur permet à 2 propriétaires de se céder une partie de la densité.

 

        2.2. Classification d'après leur objet ou leur mode d'exercice

Le Code Civil répartit les servitudes à cet égard en 3 groupes : les servitudes urbaines et rurales, les servitudes continues et discontinues, les servitudes apparentes et non apparentes. On peut ajouter un 4ème groupe : les servitudes positives et négative quoique le code passe cette division sous silence.

            2.2.1. Servitudes urbaines et rurales

Elles sont définies dans l'article 687 : une servitude rurale est établie exclusivement pour l'usage des fonds de terre ; une servitude urbaine pour l'usage des bâtiments.

Cette classification qui nous vient du droit romain, n'a plus à l'heure actuelle d'intérêt public.

            2.2.2. Servitudes continues et discontinues

Cette catégorie se retrouve à l'article 688 du Code Civil : une servitude continue est une servitude dont l'usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l'homme ("les conduites d'eau, les égouts, les vues").

Au contraire, les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait de l'homme pour être exercées ("droits de passage, puisage, pacage").

Certaines servitudes ont un caractère différent suivant les circonstances : telle est la servitude d'égout ou d'écoulement des eaux qui si elle s'applique à des eaux pluviales est continue car elle s'exerce sous le fait de l'homme, mais est discontinue, si elle s'applique à des eaux ménagères.

            2.2.3. Servitudes apparentes et non apparentes

C'est l'article 689 qui le définit. Les servitudes apparentes sont celles qui s'annoncent par des ouvrages extérieurs tels qu'une porte, une fenêtre, un aqueduc. Au contraire, une servitude non apparente est celle qui ne présente pas de signe extérieur de son existence, comme par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds ou de ne bâtir qu'à une hauteur déterminée.

En combinant, les 2 classifications (servitudes continues et discontinues, apparentes et non apparentes) on aboutit à répartir les servitudes en 3 catégories : 

- les servitudes continues et apparentes, comme la servitude de vue s'exerçant au moyen d'une fenêtre.

- les servitudes continues et non apparentes, par exemple, le droit de passage s'il existe une porte ou un chemin tracé.

- les servitudes discontinues et non apparentes par exemple le droit de puisage.

La combinaison de ces classifications présente un grand intérêt au point de vue du régime juridique des servitudes en effet, les servitudes continues et apparentes produisent des effets spéciaux : 

- elles sont seules susceptibles d'une véritable possession protégée par la loi

- elles peuvent seules, en conséquence, être acquises par usucapion.

- elles ne s'éteignent pas par le simple non-usage prolongé. Pour qu'elles s'éteignent, il faut qu'il ait été fait tout d'abord un acte contraire à la servitude, par exemple, la suppression des fenêtres ou de l'aqueduc.

            2.2.4. Servitudes positives et servitudes négatives

Les servitudes positives donnent le droit d'accomplir des actes empiétant sur le fonds d'autrui, par exemple, les servitudes de passage, quant aux servitudes négatives elles permettent de bénéficier d'une abstention imposée à autrui : par exemple, de ne pas bâtir.

 

3. Constitution des servitudes

La constitution des servitudes résultera de la loi, des magistrats ou des conventions, plus généralement du fait de l'homme.

        3.1. Servitudes légales

Cette catégorie comprend non seulement les "servitudes établies par la loi" des articles 649 et suivants, et "les servitudes qui dérivent de la situation des lieux" mais encore les servitudes prévues par des textes extérieurs au Code Civil souvent réglementaires, tels les règlements d'urbanisme.

Les servitudes légales sont instituées soit dans un intérêt privé soit dans un intérêt public.

        3.2. Servitudes judiciaires

La servitude de cour commune, dite servitude judiciaire est une servitude qui se traduit par une interdiction de bâtir (non aedificandi) ou de ne pas bâtir qu'à une certaine hauteur (non altius tollendi) ; c'est le décret du 4 décembre 1958 qui a institué cette servitude. Elle résulte soit d'un accord amiable entre les parties, soit d'une ordonnance du Président du TGI lorsqu'un compromis n'a pu être trouvé. Mais dans cette hypothèse, il faut au préalable que certaines conditions soient remplies :

- condition de fond : la condition de fond essentielle tient de l'exigence de l'administration qui subordonne impérativement la délivrance du permis de construire à la création de la servitude. La servitude de cour commune profite à des constructions en agglomération, qu'elles soient destinées à usage d'habitation ou non. Elle peut grever un terrain nu mais aussi un terrain sur lequel il existe déjà des constructions : elle traduit alors une interdiction de reconstruire en cas de démolition.

- conditions au niveau de la procédure de constitution : le décret du 4 décembre 1958 requiert qu'un accord amiable ait été préalablement recherché, il n'y a que dans l'hypothèse d'un échec qu'on peut saisir le Président du TGI. Autre condition : les travaux de construction ne doivent pas être commencés avant la création de la servitudes (article 5).

Le Président du TGI est par ailleurs juge de l'opportunité de la création d'une telle servitude et s'il décide de la créer il déterminera les indemnités à payer, soit prévisionnelles ou soit définitives.

        3.3. Servitudes établies par le fait de l'homme

Les articles 690 et 692 édictent 3 modes de constitution par le fait de l'homme.

            3.3.1. Acquisition par titre

Toutefois les servitudes, quelle qu'en soit la nature, peuvent établir par titre. Le titre a ici le sens d'acte juridique (négotium) et non pas d'écrit ou acte probatoire (instrumentum).

Cet acte juridique peut être une convention ou un testament. La constitution des servitudes est en principe libre, sous la double réserve qu'elle doit respecter l'ordre public et la règle de l'article 686 qui interdit la création de charges personnelles. La validité du titre constitutif dépend des règles de fond et de forme de l'acte juridique employé ; en dehors de l'article 686 aucune règle particulière ne s'impose.

La capacité requise chez le constituant de la servitude est celle d'aliéner, de disposer. Enfin, toute constitution de servitude par titre est sujette à publicité foncière, qu'il s'agisse d'un acte entre vifs ou d'un legs ; la preuve de l'existence d'une servitude constituée par titre est soumise au droit commun des articles 1341 et suivants du Code Civil.

            3.3.2. Acquisition par prescription

La possession engendre des effets, dont l'usucapion lorsqu'elle n'est pas viciée. Mais toutes les servitudes ne sont pas prescriptibles et encore faut-il respecter certaines conditions.

                3.3.2.1. Double condition de continuité et d'apparence

On peut devenir titulaire d'une servitude indépendamment de tout titre, au moyen de la prescription acquisitive : article 690. Mais il résulte de ce texte que sont seules susceptibles d'être acquises par prescription, les servitudes qui sont à la fois continues et apparentes, à l'exclusion des servitudes discontinues (passage, puisage) et des servitudes non apparentes (ne pas bâtir) ; selon les termes de l'article 691 "la possession même immémoriale" ne peut faire acquérir les servitudes discontinues ou non apparentes :

- tout d'abord, l'article 691 alinéa 2 lui-même décide que les servitudes, même non continues et non apparentes acquises sous l'empire de l'ancien droit, continueront de subsister. C'est une application du principe que la loi n'a point d'effet rétroactif.

- la présomption que les actes correspondant à l'exercice d'une servitude discontinue sont fondés sur une simple tolérance et ceux concernant l'exercice d'une servitude non apparente sont des actes de pure faculté est une présomption simple, c'est-à-dire, susceptible de la preuve contraire par tout moyen.

- enfin lorsqu'un propriétaire a accompli pendant le temps requis pour la prescription sur le fonds voisin des actes correspondant à une servitude discontinue ou non apparente, les tribunaux pourront le cas échéant juger que le possesseur a acquis par prescription la propriété ou la co-propriété du terrain sur lequel il a exercé la maîtrise. Ainsi, cette prescription est reconnue par le biais : au lieu d'avoir acquis par prescription une servitude de passage, l'intéressé pourra être reconnu propriétaire du terrain utilisé comme chemin.

                3.2.2.2. Conditions requises pour la prescription acquisitive

La loi n'a pas précisé les conditions que la possession des servitudes doit réunir pour conduire à la prescription. IL y a d'autre part une controverse quant au délai de prescription des servitudes :

- conditions quant à la possession des servitudes : on s'accorde à exiger les conditions formulées par l'article 2229, c'est-à-dire qu'il faut d'abord une possession devant exister avec son double élément, à savoir le corpus et l'animus et il faut encore que la possession ne soit pas viciée (violence, clandestinité, équivoque, la discontinuité n'étant pas à retenir spécialement puisque les servitudes discontinues ne donnent pas prise à la possession).

- délai de la prescription : quant au délai de prescription, la jurisprudence n'admet que la prescription de 30 ans. Elle se refuse à tenir compte de la prescription abrégée de 10 à 20 ans que pourrait invoquer le possesseur de bonne foi muni d'un juste titre. La doctrine en général, critique cette solution qui repose sur une interprétation bien contestable de l'article 690 car la mention de la prescription de 30 ans on ne saurait conclure à l'exclusion de la prescription de 10 à 20 ans.

            3.3.3. Servitude par destination du père de famille

Cette servitude est définie par l'article 693 du Code Civil. La destination du père de famille se produit dans les circonstances suivantes : un propriétaire établit entre deux parties de son fonds ou entre deux parcelles lui appartenant un aménagement qui constituerait une servitude si ces parcelles appartenaient à deux propriétaires différents : puis il vend une de ces parcelles sans rien changer à l'aménagement intérieur.

Plusieurs conditions sont nécessaires pour qu'une servitude puisse se constituer en vertu de la destination du père de famille :

- Il doit être prouvé que les deux fonds actuellement séparés ont appartenu au même propriétaire (article 693). Mais la contiguïté des fonds n'est pas indispensable.

- Il doit être prouvé que c'est par le même propriétaire qu'a été fait l'aménagement comportant l'idée de servitude existât déjà et ait été maintenue au moment où s'est opérée la division des fonds. Peu importe du reste la cause de cette division.

- La jurisprudence exige que l'acte de séparation ne contienne rien de contraire à la présomption légale de constitution de servitude car cette présomption cède devant la preuve d'intention contraire des parties.

- Enfin, si on se reporte à l'article 692, il semble que ce texte exclut la destination du père de famille les servitudes non apparentes ou discontinues. Mais si maintenant on se reporte à l'article 694, il semble que cet article retienne les servitudes discontinues apparentes. On a donc une contradiction flagrante. La jurisprudence a concilié ces deux textes de la façon suivante : elle considère qu'au terme de l'article 692 la servitude continue et apparente naît au moment de la séparation des deux fonds sans qu'il soit nécessaire de produire le titre qui a été opéré cette séparation ; en d'autres termes une servitude par destination du père de famille qui présente apparence et continuité naît de simple division du fonds sans qu'il soit besoin de produire un titre quelconque et c'est donc à celui qui nie la servitude de produire le titre pour prouver qu'elle n'existe pas. Quant à l'article 694 au contraire, il suppose dans son application que celui qui se prévaut de la destination de la servitude par destination du père de famille discontinue et apparente, doit produire le titre qui a opéré la division des deux fonds, ce titre ne devant contenir aucune stipulation contraire au maintien de la servitude.

Par conséquent nous pouvons donc dire que la destination du père de famille n'est pas un mode de constitution de servitude mais au contraire qu'elle constitue un moyen de preuve du titre constitutif.

 

4. Fonctionnement des servitudes

        4.1. Droits et obligations du propriétaire du fonds servant

Le propriétaire du fonds servant n'est tenu en principe que d'une obligation purement passive : il doit laisser le propriétaire du fonds dominant accomplir les actes correspondant à l'exercice de la servitude, comme en matière de servitudes de passage, de puisage, ou s'abstenir des actes que la servitude a pour objet d'empêcher comme en matière de servitudes non altius tollendi ou non aedificandi. Aucune autre prestation positive ne lui incombe sauf stipulation contraire. Du reste le propriétaire du fonds servant à la faculté de s'affranchir de l'obligation qui lui est imposée en abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds auquel la servitude est due car c'est une obligation propter rem (article 699). Il n'est d'ailleurs pas toujours nécessaire d'abandonner le fonds servant en entier comme le laisse supposer la loi : ainsi lorsqu'il s'agit d'une servitude de passage, le propriétaire du fonds servant peut se borner à abandonner le terrain occupé par le chemin pour se décharger de l'obligation d'entretien.

D'autre part, le propriétaire du fonds servant conserve toutes les facultés inhérentes à la propriété, même à la partie du fonds spécialement affectée à la servitude et il peut en user et en disposer sous la seule réserve de ne rien faire qui tende à diminuer l'usage de la servitude ou la rende plus incommode : article 701 alinéa 1er. Les tribunaux apprécient souverainement s'il est porté atteinte aux droits du fond dominant l'application de la règle de l'article 701 alinéa 2, pose l'interdiction au propriétaire de changer l'état des lieux ou de transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; cette interdiction constitue une application de la règle édictée par l'alinéa 1er du texte. Cependant, l'alinéa 3 prévoit une modification de l'assiette à 2 conditions : 

- si l'exercice de la servitude devient, par des circonstances imprévues, plus onéreux pour le propriétaire du fonds asservi, donc une aggravation financière.

- s'il peut proposer une autre assiette aussi commode au propriétaire du fonds dominant.

Les motifs du déplacement du lieu d'exercice de la servitude sont appréciés souverainement par les juges du fonds et les dépenses occasionnées par le déplacement sont à la charge du propriétaire du fonds servant. Le droit de modification de l'assiette existe alors même que l'assiette de la servitude aurait été fixée par un jugement ou par une convention et même si celle-ci contenait une renonciation du propriétaire du fonds servant du droit d'en demander le déplacement, ce qui porte atteinte à la force obligatoire des conventions passées. Enfin, la faculté de demander le changement de l'assiette primitive de la servitude n'est ouverte qu'au profit du fonds servant à l'exclusion de celui du fonds dominant.

        4.2. Droits et obligations du propriétaire du fonds dominant

Le propriétaire du fonds dominant ne peut user de la servitude que suivant son titre ou se conformer à la nature de la servitude ; dès lors nous pouvons dire que l'assiette de la servitude est fonction de son origine. Ainsi, l'assiette des servitudes légales est déterminée par la loi elle-même ; celle des servitudes acquises par titre est fixée par ce dernier et dans le doute, il y aura lieu de rechercher l'intention probable des parties ou celle du constituant lorsque la servitude a été établie par testament ; en cas de destination du père de famille, elle résulte de l'état des lieux et de leur nature. Quant aux servitudes établies par prescription, c'est la possession, base de la prescription qui en fixe les limites.

A côté de ces principaux généraux, le code a posé un principe légal : l'article 696. Ainsi, quand on établit une servitude, on est censé accorder tout ce qui est nécessaire pour en user et de ce fait la servitude du puisage emporte nécessairement le droit de passage.

D'autre part, le propriétaire du fonds dominant peut et a le droit d'édifier tous les ouvrages nécessaires à l'exercice de la servitude ou à sa conservation (article 697) ; ces ouvrages sont à ses frais, cependant, les ouvrages nécessaires à l'exercice de la servitude peuvent être mis par le titre consécutif à charge du propriétaire du fonds servant (article 698). 

Enfin, si le propriétaire du fonds dominant peut user de la servitude par application du principe, fixité, il ne saurait de son côté aggraver la servitude ni même en modifier l'assiette. Si ce principe de la non aggravation se comprend, il est très difficile au niveau de son application et des différentes solutions jurisprudentielles ; on peut dégager les principes suivants : 

- si le titre constitutif a une portée générale et ne limite ni l'usage ni les modalités d'exercice d'une servitude, le propriétaire du fonds dominant va pouvoir exercer la servitude quel que soit l'usage auquel il la destine et il peut en modifier les modalités.

- mais bien souvent le titre constitutif en précise l'usage et les modalités d'exercice et dans une telle hypothèse toute modification de l'un d'eux est considérée comme une aggravation de la servitude. Ce principe rigoureux est toutefois atténué par la jurisprudence au niveau de la recherche de l'intention des parties et aussi par la prise en considération de l'évolution des mœurs : ainsi la jurisprudence a considéré qu'il n'y a pas d'aggravation d'une servitude de passage constituée pour des charrettes, étendue de nos jours à des véhicules automobiles (titre constitué à pied, à cheval et en voiture à bras).

 

5. Actions en justice relatives aux servitudes

Le titulaire d'une servitude dispose d'une action confessoire de servitude ; cette action lui permet de protéger son droit contre tout empiètement. L'exercice d'une telle action permettra par exemple au titulaire d'une servitude non alitus tollendi ou non aedificandi d'obtenir la démolition des ouvrages à titre de violation.

A côté de cette action, le titulaire d'une servitude bénéficie dans certains cas des actions possessoires (les 3) : en effet les actions possessoires protègent tous les droits réels. Encore faut-il pour intenter ces actions que certaines conditions soient remplies, c'est-à-dire qu'il puisse justifier d'une possession non viciée, d'une durée annale et que l'action soit intentée dans l'année du trouble. D'autre part, seuls les droits réels étant susceptibles de possession, seuls les titulaires de servitudes apparentes et continues peuvent intenter une action possessoire et les servitudes discontinues ou non apparentes ne peuvent en faire l'objet. Toutefois, la jurisprudence reconnaît l'exercice des actions possessoires aux titulaires de telles servitudes lorsqu'un titre est porteur du vice de précarité : en effet, dans la mesure où un titre consacre une servitude discontinue ou non apparente, on ne peut plus confondre simple tolérance et droit.

Enfin, il faut souligner que le propriétaire d'un fonds qui prétend que son fonds est libre de toute servitude va pouvoir intenter une action négative de servitude. La particularité de cette action est de renverser la charge de la preuve : le propriétaire du fonds, demandeur, n'a pas à prouver l'inexistence d'une servitude, mais il doit simplement rapporter la preuve de son droit de propriété et c'est au défendeur de rapporter la preuve de la servitude qu'il prétend posséder. On peut dire en effet qu'il existe une véritable présomption de liberté sur tous les fonds.

 

6. Extinction des servitudes

Comme tout droit réel, la servitude peut s'éteindre par une cause de droit commun : résiliation, annulation de l'acte constitutif, arrivée du terme si la servitude a été constituée par un temps seulement. Mais il existe aussi des causes d'extinction spécifiques aux servitudes édictées par les articles 703 à 710 du Code Civil qui prévoient essentiellement 3 cas.

        6.1. Impossibilité d'exercice

Malgré le caractère perpétuel de certaines servitudes, il faut bien admettre qu'elles disparaissaient avec la chose sur laquelle elles portent.

L'article 703 prévoit l'extinction d'une servitude lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user. Ainsi une servitude de puisage s'éteint lorsque la source est tarie. Mais l'impossibilité d'exercice n'entraîne pas nécessairement l'extinction de la servitude : si l'impossibilité n'est que temporaire, cette impossibilité constitue un simple obstacle temporaire à l'exercice de la servitude. Et l'article 704 de préciser que les servitudes revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en user : il confirme donc la simple suspension de l'exercice et la non-disparition de la servitude pour une impossibilité momentanée.

        6.2. Le non-usage

Le droit de propriété ne s'éteint pas pour non-usage ; il n'en est pas de même au niveau de la servitude. Cette différence est due à ce que la servitude grève un bien et dans le but de faire retrouver au propriétaire la même propriété de son bien, on considère que si le titulaire de la servitude n'a pas usé de son droit, c'est qu'il y a tacitement renoncé : on a donc une présomption extinctive. Le fondement de cette cause est donc la nécessité de dégrever un fonds d'une charge qui ne présente plus d'intérêt.

Les servitudes s'éteignent par le non-usage de 30 ans : article 706. Cette règle joue pour toutes les servitudes mais comme toute règle générale, elle subit certaines atteintes particulières en fonction de la nature des servitudes : ainsi la prescription extinctive ne s'applique pas aux servitudes légales et naturelles car celles-ci constituent le régime normal de la propriété ; on reconnaît cependant certains effets au non usage d'une servitude légale : il va modifier les modalités d'exercice de cette servitude. En revanche, toutes les servitudes du fait de l'homme, qu'elles soient continues ou discontinues, apparentes ou non, s'éteignent par le non usage de 30 ans, ce qui constitue une différence avec l'usucapion. D'autre part, il est admis que la prescription s'accomplit seulement par 30 ans ; d'après la jurisprudence la prescription de 10 à 20 ans n'a pas cours en matière de servitudes. Enfin, le point de départ de la prescription n'est pas le même selon que la servitude est continue ou discontinue : article 707.

Lorsque le non-usage n'est que partiel, l'article 708 semble conduire à une prescription partielle de la servitude : donc un non-usage partiel pourrait entraîner l'extinction partielle de la servitude. Mais la jurisprudence n'a pas adopté ce principe et n'admet l'extinction de la servitude que dans le cas ou un obstacle matériel rend impossible l'usage complet de la servitude. Par ailleurs, il faut souligner qu'une servitude ne saurait s'éteindre du seul fait de son inutilité pour le fonds dominant.

        6.3. Le confusion

Nous savons par définition que pour qu'il y ait servitude, il faut 2 fonds appartenant à 2 propriétaires différents. Dans la mesure où l'on a réunification des fonds dans un même patrimoine, un des éléments essentiels de la servitude disparaît et entraîne la disparition de la servitude, quelle que soit la cause de réunification.

La confusion des deux propriétés n'est pas forcément définitive et il est possible dans ce cas que la servitude revive et rétroactive.

On distingue à cet égard selon la cause qui fait cesser la confusion :

- si celle-ci cesse pour une cause ayant un effet rétroactif, par exemple, si l'achat a été annulé ou résolu, la réunion étant censée ne s'être jamais réalisée, la servitude revivrait.

- si en revanche, la servitude ne revit pas si la confusion cesse pour une cause n'ayant pas d'effet rétroactif par exemple pour cause de revente, sauf toutefois le cas où elle renaîtrait par destination du père de famille.




Créer un site
Créer un site