Lexique Médico-Juridique

 Le Livre d'Or
 

 
 
 

Les Biens

 

1. Classification

        1.1. Classification tirée de l'appropriation des choses

            1.1.1. Les choses sans propriétaire

Les articles 539 et 713 du Code Civil posent le principe suivant lequel les biens qui ne sont pas privativement appropriés appartiennent à l'État.

Les tribunaux appliquent le principe avec une certaine restriction : s'il s'agit d'une succession dans laquelle il n'existe pas d'héritier à un degré successible, tous les biens de la succession se trouvent dévolus à l'État ; par contre, lorsqu'une chose se trouve être sans propriétaire pour une toute autre cause que le décès du propriétaire, ce principe ne joue que sur les seuls immeubles et les meubles seront des choses sans maître appropriables, c'est-à-dire que la première personne qui fera acte de maître sur ces choses en deviendra immédiatement propriétaire par l'occupation. 

Il existe 3 catégories de choses sans maître.

                1.1.1.1 Les res nullius

Ce terme recouvre le gibier, les poissons, les crustacés de mer et d'eau courante. Cependant les lapins de garenne et les poissons des étangs fermés ne sont pas des "res nullius", ils appartiennent au propriétaire du terrain ou de l'étang.

                1.1.1.2. Les res derelictae

Ce sont les choses abandonnées, susceptibles d'occupation par la première personne qui s'en emparera. Pour qu'il puisse en être ainsi il faut réunir 2 conditions : 

- une matérielle : l'abandon effectif de la chose

- une psychologique : l'intention délibérée de l'ancien propriétaire d'abandonner la chose.

Ainsi le fossoyeur qui s'empare des bijoux détenus dans un cercueil commet un vol car les héritiers du défunt n'ont jamais eu l'intention de les abandonner.

                1.1.1.3. Les épaves et les trésors

Ce sont des biens sans maître et susceptibles d'appropriation ; l'article 716 du code civil définit leur régime qui est différent de res derelictae. La distinction entre trésor et épave est purement technique.

            1.1.2. Les choses non appropriables

Parmi elles, on peut distinguer les choses communes et les choses hors du commun.

                1.1.2.1. Les choses communes

Ce sont l'air, les eaux courantes, l'eau de mer (article 714). Cependant, considérer ces choses comme non appropriables est partiellement inexact : il en existe des appropriations partielles (usines d'air liquide, transport des ondes hertziennes...).

Mais leurs appropriations de choses communes ne doivent jamais entraver leur usage par autrui ni entraîner des gênes dans leur usage.

                1.1.2.2. Les choses hors du commerce

Les personnes morales de droit public ont des biens qui constituent leur domaine : celui-ci peut se diviser en domaine privé et en domaine public.;

Les biens du domaine privé sont soumis aux règles de la propriété privée (code civil) ; au contraire les biens du domaine public bénéficient d'un régime exorbitant du droit commun et sont soumis au droit administratif. Par conséquent, alors qu'un bien privé est aliénable et cessible, un bien public est foncièrement aliénable.

Le critère de distinction est en principe celui de l'affectation d'un bien à l'usage public ; cependant ce critère est un peu dépassé et on lui a substitué celui du caractère indispensable d'un bien pour remplir le but d'utilité publique auquel il est affecté. Ainsi font partie du domaine public : le rivage de la mer, les havres, les étangs en communication avec la mer. Au contraire, les immeubles des services d'administration ne sont pas considérées comme des biens du domaine public puisqu'ils ne sont pas indispensables pour remplir le but d'utilité publique auquel ils sont affectés.

 

        1.2. Classification des choses tirée de leur utilisation

            1.2.1. Les choses frugifères et les choses non frugifères 

Une chose frugifère est susceptible de produire des fruits.

Le fruit est une chose produite périodiquement sans altération ni diminution sensible de la substance d'une chose.

Les produits sont des choses qui apparaissent sans périodicité, ou bien avec une diminution sensible de la substance dont ils émanent.

Ainsi les coupes d'arbres de haute futaie sont des produits alors que les coupes de bois taillis sont des fruits;

L'intérêt de la distinction apparaît au niveau des droits réels démembrée des droits de propriété (usufruit) et au niveau des droits du possesseur : l'usufruitier a le droit de se servir de la chose et d'en percevoir les fruits (usus et fructus) alors que les produits restent au nu-propriétaire ; le possesseur conservera les fruits qu'il a pu percevoir si sa possession a été de bonne foi.

                1.2.1.1. Les fruits

On distingue 2 sous-catégories : 

- Les fruits par nature :

* Les fruits naturels et industriels : ils correspondent à ce que donne une chose par le fait de la nature ou par l'activité humaine.

* Les fruits civils : ce sont des sommes d'argent que la chose produit périodiquement (loyer, fumage). La distinction entre fruits naturels et fruits civils présente un intérêt pour les droits de l'usufruitier il n'acquiert les fruits naturels ou industriels que par perception (si l'usufruit expire avant la récolte, l'usufruitier n'aura aucun droit sur celle-ci) ; par contre, les fruits civils s'acquièrent au jour le jour (l'usufruitier en bénéficiera jusqu'à l'expiration de l'usufruit).

- Les fruits par décision de la loi : ce sont des produits que la loi traite comme des fruits uniquement quant aux droits de l'usufruitier. Il existe 3 sortes de fruits par décision de la loi : 

* Les arbres de haute futaie soumis à des coupes réglées ; ces coupes sont considérées comme des fruits.

* Les produits des mines ou des carrières qui se trouvaient en exploitation avant le début de l'usufruit.

* Les arrérages dus en vertu d'un contrat de rente viagère.

                1.2.1.2. Les produits

Ils correspondent à toutes les choses qui ne peuvent pas rentrer dans la catégorie des fruits et on retrouve les mêmes distinctions que pour les fruits. Le produit est ce qu'une chose fournit sans périodicité ou à la suite d'une diminution de sa substance.

            1.2.2. Les choses consomptibles et les choses non consomptibles

Les choses consomptibles sont celles qui se consomment au premier usage (par exemple : les denrées alimentaire, l'argent) alors que les choses non consomptibles sont au contraire susceptibles d'un usage prolongé (par exemple une automobile).

L'intérêt de la distinction se situe encore au niveau de l'usufruit ; une chose consomptible implique, au niveau de son transfert, consommation de la chose ; par conséquent l'usufruit ne peut que porter sur les choses non consomptibles.

            1.2.3. Les choses fongibles et les choses non fongibles

Les choses fongibles sont celles considérées comme équivalentes ou interchangeables ; elles se déterminent au poids, au compte ou à la mesure (on les appelle aussi choses du genre). A l'opposé les choses qui ne peuvent être remplacées les unes par les autres sont non fongibles ou encore des corps certains

L'intérêt de la distinction réside au niveau du transfert de propriété : pour qu'il y ait transfert, il faut qu'il y ait corps certain.

 

        1.3. Classification des choses tirée de leur nature

L'article 516 pose que tous les biens sont meubles ou immeubles. Cette distinction remonte à l'ancien droit, fondée sur un critère de fixité : si un bien présente une certaine mobilité il s'agit d'un meuble.

            1.3.1. Les choses mobilières et immobilières

Le code ne s'attache qu'à la fixité ou à la mobilité des choses pour en déterminer la nature mobilière ou immobilière. Toutefois, il tient compte parfois de la destination des biens pour fixer leur caractère.

                1.3.1.1. Immeubles et meubles par nature.

Sont immeubles par nature le sol et ce qui s'y rattache : les bâtiments ou plantations.

Sont meubles par nature les choses qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'elles se meuvent elles-mêmes comme les animaux, soit qu'elles ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère comme les choses inanimées.

Il s'ensuit que le caractère mobilier ou immobilier ne dépend pas exclusivement de l'observation de sa nature mais encore dans une certaine mesure de l'emploi qui en est fait. Les carrières sont des immeubles, mais les pierres qu'on en détache sont susceptibles de déplacement, ce sont des meubles, elles cessent de l'être lorsqu'elles sont utilisées dans la construction d'un mur. Ainsi pour les plantations : tant qu'elles adhèrent au sol, les récoltes sont des immeubles ; elles deviennent meubles lorsqu'elles en sont séparées.

                1.3.1.2. Immeubles par destination

L'article 524 déclare immeubles les objets mobiliers que le propriétaire d'un fonds y a placés pour son service ou son exploitation comme les animaux ou ustensiles placés sur un fonds de terre pour son exploitation, les machines nécessaires au fonctionnement d'une usine. Cette fiction tend à éviter la dissociation d'un ensemble de biens formant une unité fiction aux biens mobiliers qui en sont l'accessoire nécessaire. Le créancier hypothécaire pourra saisir l'ensemble, l'immeuble et les meubles immobilisés par destination, afin d'éviter que les uns et les autres soumis à des procédures distinctes de saisies ne soient réalisés dans de mauvaises conditions.

De cette observation se dégage une première condition : l'immobilisation par destination suppose que le meuble appartienne au même propriétaire que l'immeuble auquel il est affecté.

A cette première condition, s'en ajoute une seconde ; un meuble ne peut être immobilisé que dans les deux cas où la loi l'a prévu ; il y a en effet deux procédés d'immobilisation suivant que le meuble est affecté à l'immeuble pour son exploitation ou pour son agrément  

- dans le premier cas, l'immeuble doit être aménagé en vue de l'exploitation d'un fonds qui crée l'immobilisation. Mais il importe peu que l'immobilisation soit agricole, industrielle ou commerciale. Il suffit que le meuble soit nécessaire à la mise en valeur et à l'exploitation de l'immeuble. C'est par exemple dans l'exploitation agricole, les animaux placés sur le fonds pour son exploitation, les ustensiles aratoires, le matériel d'une exploitation industrielle.

- Si le meuble est affecté à l'immeuble pour son agrément comme glaces, tableaux et ornements, l'immobilisation suppose qu'ils sont attachés au fonds à perpétuelle demeure, et que cette attache se manifeste par un lien matériel. Il faut ou bien que la chose soit scellée au plâtre ou à la chaux ou du moins que l'immeuble ait été aménagé pour la recevoir.

                1.3.1.3. Les meubles par anticipation

Cette notion n'existe pas dans le Code Civil. Il s'agit d'une création de la jurisprudence.

Un meuble par anticipation est un bien actuellement immobilier mais que les contractants envisagent en considération du moment où ce bien sera devenu meuble. Donc il a le caractère de meuble dès la formation du contrat.

Il en est ainsi pour une récolte vendue sur pied, il s'agit d'une vente mobilière car les contractants se placent au moment de la récolte.

La jurisprudence a fait application de ceci pour les arbres vendus pour être abattus, à des bâtiments vendus en vue d'être démolis, à la vente de matériaux à extraire d'une carrière.

            1.3.2. Les droits mobiliers et immobiliers

La distinction des meubles et des immeubles s'étend à tous les biens y compris les biens incorporels : les droits. Les droits sont donc mobiliers ou immobiliers. Mais, appliquée aux droits, la distinction est très artificielle car le critère de mobilité ou de fixité est dépourvu de sens. Comme la classification est générale, elle englobe tous les droits ; dont donc mobiliers tous les droits auxquels la loi n'attribue pas le caractère immobilier.

                1.3.2.1. Les droits immobiliers

Les droits ne peuvent être immobiliers que par les objets auxquels ils s'appliquent suivant les termes de l'article 526 qui en donne une énumération défectueuse. Il appelle 3 observations : 

- Le texte ne cite que 2 droits réels immobiliers : l'usufruit et les servitudes. Mais, il ne cite pas la propriété ; or il n'y a aucun doute que le droit de propriété est un droit immobilier lorsqu'il porte sur un immeuble. En réalité sont immobiliers tous les droits réels portant sur les immeubles qu'il s'agisse de droits réels principaux ou de droits réels accessoires, hypothèques ou privilèges portant sur les immeubles.

- Aux droits réels immobiliers, l'article 526 ajoute : "les actions qui tendent à revendiquer un immeuble". Mais l'action en justice n'est pas un bien distinct du droit déduit en justice. L'action est un moyen de faire valoir les droits. Mais les rédacteurs du Code Civil ont voulu signaler la division des actions en actions mobilières ou immobilières et faire rentrer dans cette catégorie, non seulement les actions qui sanctionnent les droits immobiliers eux-mêmes, mais encore celles qui tendent à faire recouvrer la propriété d'un immeuble comme les actions en nullité ou en résolution d'une vente immobilière.

- L'article 526 ne fait aucune allusion aux droits de créance. Ils n'échappent pas à la distinction puisque celle-ci absorbe tous les biens corporels ou incorporels. Une indication eut été utile car l'application de la distinction aux droits personnels est arbitraire. Le droit de créance est celui qui permet d'exiger d'une personne un fait ou une abstention. Un fait ou une abstention répugnent à être qualifiés de meuble ou d'immeuble. Toutefois parmi les obligations qui ont pour objet le fait du débiteur, on distingue celles qui lui imposent de créer ou de transférer un droit réel.

On les appelle obligations de donner et on considère comme immobilier le droit de créance lorsque l'obligation de donner porte sur un immeuble. Ces obligations sont extrêmement rares parce que la convention qui engendre une pareille obligation de transfert opère par elle-même le transfert ; le créancier devient immédiatement titulaire du droit réel. Il faut supposer que pour une raison quelconque le transfert du droit réel immobilier se trouve retardé ; dans ce cas, l'acheteur n'étant pas devenu propriétaire possède une créance lui permettant d'exiger le transfert. C'est une créance immobilière ; on peut citer comme l'exemple l'acquéreur d'un hectare de terrain à prendre dans un terrain plus vaste jusqu'à la détermination de l'hectare vendu ; l'acheteur ne peut en être propriétaire, il est créancier : il est en droit d'exiger le transfert, sa créance est immobilière.

                1.3.2.2. Les droits mobiliers

Le code les appelle meubles par détermination de la loi. Ils sont très nombreux car tous les droits qui ne sont pas immobiliers sont meubles. La classification est générale ; y rentrent les droits réels mobiliers à l'exception de la propriété mobilière qui, confondue avec son objet, figure au nombre des meubles corporels. Ce sont aussi tous les droits personnels ; on en retranche seulement outre l'exception déjà signalée quant aux créances immobilières, les créances constatées dans les titres au porteur. En raison du procédé de leur transfert, on admet que le droit s'incorpore au titre puisqu'il se transmet par la transmission du titre qui le constate, ils sont traités comme meubles corporels.

L'exemple le plus net est le billet de banque. Les droits mobiliers comprennent enfin les propriétés incorporelles appelées droits intellectuels et par décision, expression de l'article 529, les droits d'associé et les rentes.

La rente est une créance en vertu de laquelle une personne appelée crédirentier a le droit d'exiger d'une autre le débirentier, des prestations périodiques de sommes d'argent. Le caractère mobilier de la rente ressort avec évidence de cette définition puisque la rente est une créance d'une somme d'argent. Si l'article 529 a pris soin de le préciser, c'est pour écarter la règle qui, dans notre ancien droit, donnait au crédirentier un droit réel sur l'immeuble lorsque la rente était la contrepartie de l'aliénation de cet immeuble ; ces rentes étaient appelées rentes foncières.

L'article 529 fait figurer expressément au nombre des meubles les droits des associés dans les sociétés de commerce, même si des immeubles figurent à l'actif de la société. Il s'agit des parts sociales, des actions des sociétés de capitaux ou des sociétés de personnes. C'est pour marquer que les associés ne sont pas les propriétaires des biens sociaux. S'ils l'étaient, le droit de chacun d'eux serait immobilier pour autant qu'il porterait sur des immeubles indivis. Si ces biens n'appartiennent pas indivisiblement aux associés, ils sont la propriété de la société elle-même. C'est pourquoi, la doctrine et jurisprudence se sont appuyées sur ce texte pour reconnaître aux sociétés la personnalité morale.

Figurent enfin au nombre des meubles, certains droits qui présentent souvent une grande valeur et qu'on appelle les propriétés incorporelles. Tels sont les offices ministériels ; le droit que les titulaires de ces offices ont de présenter leur successeur présente une valeur considérable : c'est un droit mobilier.

Tel est encore le droit de propriété littéraire et artistique ; on désigne sous ce vocable le monopole d'exploitation reconnu par la loi à l'auteur des ouvrages de l'esprit ; il est assorti d'un droit non pécuniaire qu'on appelle le droit moral de l'auteur. Ces droits sont mobiliers.

 

2. Le droit de propriété

Article 544 du Code Civil : "la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements".

        2.1. Les prérogatives du propriétaire.

Le propriétaire a le droit d'user de la chose (usus), d'en percevoir les fruits (fructus) - ces 2 prérogatives constituent le droit de jouir de la chose - d'en percevoir les produits, enfin de disposer de la chose (abusus).

            2.1.1. Droit de jouissance et de perception des produits

Le droit d'user de la chose est celui, pour le propriétaire de l'utiliser à sa convenance.

            2.1.2. Droit de disposer de la chose (abusus)

Les actes de disposition sont soit matériels (épuisement de la substance de la chose, destruction), soit juridiques (abandon, c'est-à-dire renonciation unilatérale au droit de propriété, aliénation gratuite, donation ou onéreuse : vente ou échange, du droit de propriété, constitution au profit d'un tiers d'un droit réel, principal ou accessoire sur la chose).

USUS + FRUCTUS + ABUSUS = Droit de Propriété

 

        2.2 Les limites du droit de propriété

Elles tiennent aux limites de la chose elle-même, d'une part, aux restrictions, aux prérogatives du propriétaire d'autre part.

            2.2.1.  Les limites de la chose

Les prérogatives du propriétaire s'arrêtent naturellement aux limites de la chose, qu'il faut donc déterminer. Mais ce qui s'unit ou s'incorpore à la chose appartient aussi au propriétaire de celle-ci.

                2.2.1.1. La détermination des limites de la chose

Cette question ne se pose évidemment que pour les immeubles.

                    2.2.1.1.1. Limites horizontales

La fixation de ces limites horizontales peut faire l'objet d'opérations dites de bornage. Par une action du bornage, tout propriétaire a le droit "d'obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës". Le franchissement de la limite  peut être interdit par une clôture (article 647 du Code Civil) qui est quelquefois obligatoire (article 663 du Code Civil). Les clôtures appartiennent tantôt à un seul propriétaire, tantôt collectivement à deux propriétaires voisins (clôtures mitoyennes ; sur la copropriété des murs et fossés mitoyens, voir les articles 653 et suivants du code civil). Le lit (mais non l'eau) des cours d'eau non domaniaux (les cours d'eau domaniaux, notamment les fleuves et les rivières navigables ou flottables dépendent du domaine public et ne sont pas susceptibles d'appropriation privée) appartient aux riverains par moitiés la limite suit une ligne fictivement tracée au milieu du cours d'eau (voir article 97 et suivants du Code Rural).

                    2.2.1.1.2. Limites verticales

Article 552 alinéa 1 du Code Civil "la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous".    

                        2.2.1.1.2.1. Propriété du dessus

Le propriétaire "sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes, des arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent" (article 673 alinéa 1er du Code Civil). De même, le propriétaire est propriétaire "des eaux pluviales qui tombent sur son fonds" (article 641 alinéa 1 du Code Civil). Il est également propriétaire des eaux non courantes qui se trouvent sur son fonds (étangs et lacs d'eau douce ; les étangs et lacs salés, communiquant avec la mer font partie du domaine public) et des eaux de source jaillissant sur ce fonds (article 641 alinéa 3 du Code Civil), ceci sous diverses exceptions, spécialement celle que les eaux de source ne forment pas immédiatement "un cours d'eau offrant le caractère d'eaux publiques et courantes" (article 643 du Code Civil). Les eaux des cours d'eau non domaniaux sont en effet des choses communes. Les riverains et ceux dont l'eau courante traverse le fonds n'en ont que l'usage (article 644).

Remarque : L'énergie électrique de toutes les eaux courantes appartient au domaine public ; (son usage suppose une concession ou une autorisation de l'État : loi du 16 octobre 1919).

C'est aussi parce qu'il est propriétaire du dessus que le propriétaire du sol peut construire (voir article 552 alinéa 2 du Code Civil), s'opposer à tout empiètement sur l'espace dominant le sol (voir article 673 alinéa 1 du Code Civil précité), même sans alléguer d'autre préjudice que cet empiètement. La propriété ne s'étend pourtant pas verticalement, à l'infini ou jusqu'aux plus hautes couches de l'atmosphère , mais seulement jusqu'à la hauteur nécessaire pour l'exercice normal de la propriété du sol. Pour cette raison, la jurisprudence avait reconnu le droit au libre passage des avions avant que la loi du 31 mai 1924 n'ait confirmé cette solution (voir l'article 18 du code de l'aviation).

                        2.2.1.1.2.2. Propriété du dessous

Le propriétaire "peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu'il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu'elles peuvent fournir sauf les modifications résultant des lois et règlements relatifs aux mines et des lois et règlements de police" (article 552 alinéa 2 du Code Civil).  La propriété du sol comporte dont le droit d'exploiter les minières (gisements de charbon, d'hydrocarbures et d'autres produits énumérés par l'article 2 du Code Minier du 16 août 1956) est depuis une loi du 21 avril 1810, dissocié de la propriété du sol. Cette exploitation ne peut avoir lieu que sur autorisation de l'État, prenant la forme d'un permis d'exploitation ou d'une concession, pour l'octroi de laquelle le propriétaire de la surface est dépourvu de toute priorité, et qui, même accordée au propriétaire de la surface crée un droit réel immobilier distinct de la propriété de la surface (article 36 du Code Minier). L'exploitant de la mine doit au propriétaire une "redevance tréfoncière" que la loi déclare immeuble bien qu'il s'agisse d'un droit personnel (article 39 du Code Minier).

                2.2.1.2. L'accession

Article 546 du Code Civil : "la propriété d'une chose, soit mobilière soit immobilière, donne droit.... sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s'appelle droit d'accession".

                    2.2.1.2.1. Accession immobilière naturelle

Elle a lieu sans intervention de l'homme et résulte essentiellement soit des déplacements naturels des animaux, soit de l'action naturelle des cours d'eau.

                        2.2.1.2.1.1. Les animaux

Les pigeons des colombiers, des lapins de garennes, poissons des étangs, qui sont immeubles par distinction (article 524 du Code Civil), lorsqu'ils passent d'un fonds à un autre sont acquis par le propriétaire du second fonds "pourvu qu'ils n'y aient point été attirés par fraude ou artifice" (article 564 du Code Civil). Sur l'accession des animaux de basse cours et essaims, voir les articles 202 et 209 du Code Rural (ou l'article 564 du Code Civil Dalloz).

                        2.2.1.2.1.2. L'action des cours d'eau

Les alluvions, c'est-à-dire "les atterrissements et accroissements qui se forment successivement et imperceptiblement aux fonds riverains d'un fleuve ou d'une rivière" profitent au propriétaire riverain (article 556 du Code Civil ; mais l'alluvion n'a pas lieu à l'égard des lacs et étangs : article 558).

De même, les relais "que forme l'eau courante qui se retire insensiblement de l'une de ses rives en se portant sur l'autre" profitent au riverain de la rive découverte (article 557 du Code Civil). Sur l'avulsion résultant de ce qu'un cours d'eau arrache "une partie considérable et reconnaissable d'un champ riverain" et la porte ailleurs, voir l'article 449 du Code Civil. Sur les formations d'îles et changement de lit des cours d'eau, voir les articles 560 et suivants Code Civil, 99 et 100 Code Rural (ou l'article 563 du Code Civil Dalloz).

                    2.2.1.2.2. Accession immobilière artificielle ou industrielle.

L'incorporation de la chose au sol approprié provient ici du travail de l'homme consistant en des constructions et plantations. Les matériaux utilisés deviennent immeubles par nature (l'accession ne concerne pas les opérations qui ne tendent qu'à une immobilisation par destination). Normalement, c'est le propriétaire du terrain qui a construit ou planté, avec ses propres matériaux, l'article 553 présume qu'il en est bien ainsi. Mais cette présomption légale n'est qu'une présomption simple, susceptible d'être détruite par la preuve contraire. Que le propriétaire du terrain ait construit ou planté avec les matériaux d'autrui ou qu'un tiers ait construit ou planté sur le terrain d'autrui, le propriétaire du terrain n'en devient pas moins, par accession, propriétaire des constructions et plantations (article 551, 555 du Code Civil).

                        2.2.1.2.2.1. Propriétaire ayant construit ou planté sur son terrain avec les matériaux d'autrui

Le propriétaire des matériaux utilisés "n'a pas le droit de les enlever" mais peut obtenir le paiement de leurs valeurs estimées à la date du paiement, et éventuellement, des dommages-intérêts (article 554 du Code Civil).

                        2.2.1.2.2.2. Personne ayant construit ou planté sur le terrain d'autrui (article 555 du Code Civil modifié par la loi du 
17 mai 1960).

Devenu propriétaire des constructions et plantations, le propriétaire du terrain n'est pas, en principe, obligé de les conserver. Il a le droit d'en exiger la suppression aux frais de leur auteur, avec, éventuellement condamnation de ce dernier à payer des dommages-intérêts. Toutefois, le droit d'exiger la suppression cesse quand l'auteur des constructions et plantations, au moment de celles-ci, possédait le terrain, comme propriétaire de bonne foi, c'est-à-dire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignorait les vices (article 550, 555 alinéa 4 du Code Civil ; sur la possession de la propriété). En ce cas, ainsi qu'au cas où, le pouvant, le propriétaire du terrain n'exige pas la suppression, il doit à son choix, payer à l'auteur des constructions ou plantations, une somme égale soit à la plus value procurée au fonds, soit au coût des matériaux et de la main d'œuvre (estimés à la date du remboursement, compte-tenu de l'état à cette date, des constructions et plantations).

Remarques

L'article 555 du Code Civil ne concerne que les ouvrages nouveaux. Aux simples réparations et améliorations, la jurisprudence applique des règles d'origine romaine qui constituent la théorie dite des impenses. Le propriétaire rembourse les coûts des impenses nécessaires (indispensables à la conservation de la chose) ; à son choix, le coût des impenses utiles (non indispensables mais augmentant la valeur de la chose) ou le montant de la plus value procurée à la chose ; il ne doit rien pour les impenses voluptuaires ou somptuaires (de pur agrément et ne procurant aucun plus value) et peut en exiger la suppression.

En principe, l'article 555 n'est pas seulement applicable à un possesseur évincé, mais aussi à un détenteur (un public ; par exemple, sous réserves de clauses du contrat de bail dérogeant à l'article 555 qui n'est pas d'ordre public ; sachant qu'il n'est pas propriétaire, le détenteur doit être traité comme de mauvaise foi ; sur la distinction de la possession et de la détention). Néanmoins, les conséquences des constructions et plantations faites par certains détenteurs sont réglées différemment : fermier dans le bail à ferme (article 848 et suivants du Code Rural), emphytéote et preneur dans le bail à construction (à qui l'article 943 du Code Rural et l'article 2 de la loi du 1er juin 1964 refusent respectivement toute indemnité), usufruitier (à qui la jurisprudence applique l'article 599 alinéa 2 du Code Civil sans distinguer entre les améliorations seules expressément envisagées par le texte et les ouvrages nouveaux).

            2.2.2. Les restrictions aux prérogatives du propriétaire

Bien qu'affirmant le caractère absolu des prérogatives du propriétaire, l'article 544 du Code Civil, précité, annonce des restrictions légales ou réglementaires à ces prérogatives.

De telles restrictions sont en effet nombreuses. Malgré les termes de l'article 544, elles ne sont pas toutes d'origines légale ou réglementaire. Certaines ont une origine jurisprudentielle. Les unes tiennent au mode collectif de l'appropriation ; d'autres, ont un but d'intérêt privé ; d'autres enfin, ont un but d'intérêt public.

                2.2.2.1. Les propriétés collectives

Plusieurs personnes dites copropriétaires sont cumulativement titulaires du droit de propriété. Les prérogatives de chacune sont nécessairement limitées par les prérogatives des autres. Cette situation diffère de l'appropriation d'une chose par un groupement doté de la personnalité morale : la personne morale est l'unique titulaire du droit de propriété (PLANIOL analysait pourtant la personnalité morale comme une sorte de propriété collective). On peut distinguer l'indivision de droit commun, copropriété inorganisée, et les indivisions ou copropriétés organisées.

                    2.2.2.1.1. L'indivision de droit commun

Chaque copropriétaire ou indivisaire est titulaire d'une fraction idéale du droit de propriété portant sur la chose entière et non pas de l'entier droit de propriété sur une fraction matérielle de la chose. C'est le droit et non la chose qui est fractionné. De là, vient que l'indivisaire peut jouir de la chose entière dans la mesure de sa fraction du droit, mais que tout acte impliquant une modification de la jouissance par tous de l'ensemble (bail de la chose entière par exemple) ou d'une fraction matérielle (bail d'une partie de la chose par exemple) de la chose, suppose l'accord de tous. En raison de l'inorganisation de l'indivision, tenant à l'exigence d'unanimité pour tous les actes de quelques importances, la loi a voulu que l'indivision soit un état essentiellement provisoire. "Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision" ; chaque indivisaire est en droit de demander le partage, qui substitue à la propriété collective des propriétés individuelles, ou privatives des fractions matérielles de la chose (article 815 Code Civil) ; des prolongations conventionnelles (convention d'indivision d'une durée maxima et renouvelable de 5 ans) ou judiciaires de l'indivision sont toutefois possibles (voir article 815 alinéa 2 et suivants code civil). La pratique de l'indivision, spécialement de source successorale, confirme pourtant que le provisoire est souvent durable.

                    2.2.2.1.2. Les copropriétés organisées

Il s'agit d'abord de certaines choses affectées à l'usage commun des propriétaires privatifs de deux ou plusieurs immeubles, qui en sont copropriétaires et ne peuvent ni céder à un tiers leur quote-part indivise indépendamment du fonds dont elle est l'accessoire, ni provoquer le partage (on parle d'indivisions forcées). Ces copropriétés sont pourvues par la loi (clôtures mitoyennes : article 653 et suivants du Code Civil) ou par la jurisprudence (chemins tours, puits communs...) d'un embryon d'organisation résultant de ce que les pouvoirs de chaque copropriétaire sur la chose sont plus étendus qu'ils ne le seraient d'après le droit commun de l'indivision (le copropriétaire d'un mur mitoyen peut ainsi, sans l'accord de l'autre mais à ses propres frais, faire exhausser le mur : article 658 du Code Civil). Plus organisée est la copropriété des immeubles bâtis ou groupes d'immeubles bâtis, "dont la propriété est répartie, entre plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes". Cette copropriété couramment appelée copropriété par appartements, est actuellement réglementée par une loi du 10 juillet 1965 (laquelle s'applique aussi aux ensembles immobiliers comprenant des parcelles bâties ou non, appropriées privativement et des terrains, aménagements et services communs). Les parties privatives "réservées à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé" (par exemple, un appartement) "sont la propriété exclusive" de celui-ci (article 2 loi préc). Les parties communes (telles que sol, cour, gros oeuvre, corridors...) "sont l'objet d'une propriété indivise" (article 4). L'indivision en question est organisée : les copropriétaires sont groupés en un syndicat, personne morale (article 14), qui n'est pas propriétaire des parties communes (auquel cas, ce ne serait pas une copropriété) mais qui est chargé de la conservation de l'immeuble et de l'administration des parties communes (article 14) et dont les décisions, en principe prises à la majorité (article 24 et suivants), sont exécutées par un syndicat (article 17).

                2.2.2.2. Les restrictions d'intérêt privé aux prérogatives du propriétaire

Les unes sont légale, d'autres sont d'origine jurisprudentielles, d'autres enfin sont volontaires.

                    2.2.2.2.1. Restrictions légales

Le Code Civil les nomme servitudes. Ce serait donc des servitudes légales (des auteurs n'admettent cependant la qualification de servitude que pour les servitudes conventionnelles), il est en tout cas une "servitude légale" qui ne mérite pas cette qualification parce qu'on n'y découvre pas la distinction, essentielle à l'idée de servitude, d'un fonds dominant et d'un fonds servant : la mitoyenneté ; voir les articles 653 et suivants du Code Civil. Il faudrait, d'après les textes, distinguer les servitudes purement légales (article 639 et suivants, 649 et suivants du Code Civil). Une telle distinction est sans intérêt. Les servitudes "naturelles" sont légales, sont établies en tenant plus ou moins compte de la situation des lieux.

Parmi ces restrictions légales d'intérêt privé aux prérogatives du propriétaire, dont le but commun est l'organisation des rapports de voisinage, on peut citer celles relatives à l'écoulement des eaux (article 640 du Code Civil) : "les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué" à l'égout des toits (article 681 du Code Civil : le toit doit être disposé de telle manière que les eaux pluviales coulent de ce toit sur la voie publique, soit sur le terrain du propriétaire, et coulent éventuellement ensuite sur un fonds inférieur, mais ne coulent pas directement sur le terrain voisin), aux distances par rapport à la propriété voisine, qui doivent être observées pour planter (article 671 et 672 du Code Civil) ou faire certaines constructions (article 674 du Code Civil), aux ouvertures pratiquées dans un mur séparatif de 2 fonds ou proche de leur limite, qui ne doivent pas permettre la vue, du moins, pas une vue commode, chez le voisin (article 675 et suivants du Code Civil), au droit de passage en cas d'enclave, c'est-à-dire au droit qu'à "le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante" de réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner (article 682 et suivants du Code Civil)....

                    2.2.2.2.2. Restrictions jurisprudentielles

                        2.2.2.2.2.1. L'abus du droit de la propriété

Le caractère absolu du droit de propriété, affirmé par l'article 544 du Code Civil n'a pas fait échapper ce droit à la théorie générale de l'abus des droits (qui s'est même d'abord développée à propos du droit de propriété), d'après laquelle l'exercice abusif d'un droit constitue une faute génératrice de responsabilité civile extra-contractuelle si un dommage en est résulté pour autrui. Conformément aux articles 1382 et suivants du Code Civil, la victime du dommage peut obtenir réparation et exiger que l'auteur cesse dans l'avenir ses agissements fautifs. La difficulté est de savoir quand l'exercice d'un droit dégénère en faute. Nul doute qu'il n'y ait faute à exercer son droit de propriété à seule fin de nuire à autrui. Il est moins certain que l'exercice dommageable du droit de propriété sans intention de nuire, mais sans motif sérieux et légitime, soit qualifiable de faute.

Par conséquent, si, en principe, l'abstention dommageable ne peut entraîner une responsabilité, qu'autant qu'il y avait, pour celui auquel on l'impute, obligation d'accomplir le fait omis, il en est autrement lorsque cette abstention dommageable a été dictée par l'intention de nuire et constitue un abus de droit.

                        2.2.2.2.2.2. Les troubles excessifs de voisinage

La jurisprudence juge également responsable du dommage qu'il cause à ses voisins, le propriétaire qui, pour l'exercice légitime de son doit, fait subir à ceux-ci un préjudice excédant la mesure des obligations ordinaires du voisinage. L'auteur du dommage n'est pas admis à alléguer la préoccupation, c'est-à-dire la circonstance qu'il occupait les lieux et y exerçait son droit de la façon reprochée avant la venue dans le voisinage de celui qui se plaint. Comme le propriétaire n'a commis aucune faute, on s'interroge sur le fondement de cette responsabilité. Répugnant à l'idée de responsabilité civile sans faute, des auteurs avancent que le propriétaire n'est pas démesuré à l'intérieur des limites de sa chose, mais a empiété (immissio) sur le fonds voisin en émettant vers lui des fumées, bruits, odeurs.... Séduisante, l'explication semble malheureusement en grande partie verbale.

                    2.2.2.2.3. Restrictions volontaires

Si l'on fait réserve des démembrements volontaires de la propriété, ces restrictions volontaires proviennent essentiellement d'actes juridiques tendant à rendre une chose inaliénable et par conséquent, à priver le propriétaire de sa prérogative de disposition juridique de la chose. La jurisprudence admet la validité des clauses d'inaliénabilité insérées notamment dans des donations ou testaments, pourvu qu'elles répondent à un intérêt légitime et qu'elles soient temporaires (article 900-1 du Code Civil). Sur la constitution volontaire d'un bien de famille insaisissable et d'aliénabilité restreinte, voir la loi du 12 juillet 1909 ; sur les substitutions, voir les articles 1048 et suivants du Code Civil.

                2.2.2.3. Les restrictions d'intérêt public aux prérogatives du propriétaire

Ces restrictions sont de droit public (administratif) Elles constituent l'un des aspects de la pénétration du droit public dans le domaine du droit privé. Beaucoup sont appelées servitudes d'utilité publique parce qu'elles tiennent au voisinage du domaine public et qu'elles imposent au propriétaire des limitations de son droit analogues à celles résultant de servitudes. Néanmoins, la qualification de servitudes est généralement considérée comme inexacte pour la raison que ces charges de la propriété ne sont pas instituées dans l'intérêt d'un fonds dominant, mais dans l'intérêt public. Citons les servitudes de voirie, pesant sur les propriétés voisines des voies publiques, les servitudes aériennes, pesant sur les propriétés voisines des aérodromes (il est douteux que le libre survol aérien des propriétés soit une restriction des prérogatives du propriétaire simplement, le droit de propriété ne va pas jusqu'à ces hauteurs), les servitudes de passage des lignes électriques, les servitudes d'urbanisme... Certaines réglementations atteignent le droit de propriété jusque dans la prérogative de disposition juridique de la chose. Elles concernent l'expropriation pour cause d'utilité publique, les réquisitions de la propriété, les remembrements ruraux et urbains (qui ont pour but une redistribution rationnelle des parcelles et peuvent aboutir à des échanges forcés de parcelle), les lotissements (opération par laquelle le propriétaire d'un fonds divise celui-ci en parcelles qu'il aliène ou loue séparément).

 

3. Théorie générale de la possession

Le droit ne peut pas ignorer les situations de fait ; ne pouvant pas les ignorer, il a pris en considération la notion de possession. On la rencontre sous divers aspects : 

- au niveau du statut des personnes : possession d'état

- au niveau des droits personnels : possession des créances

- au niveau des successions : l'envoi en possession

La possession ne s'applique qu'aux droits réels principaux qui en sont le champ d'application essentiel. En règle générale, le pouvoir de droit et le pouvoir de fait sur une chose sont exercés par la même personne (superposition de la possession et de la propriété), mais il arrive que ces deux pouvoirs soient exercés par des personnes différentes ; l'on peut alors s'étonner de voir le législateur reconnaître un pouvoir de fait contre un pouvoir de droit et cela peut apparaître choquant. Mais le fondement de la protection possessoire révèle et justifie les effets attachés à la possession : il convient donc de rechercher son fondement.

Deux juristes se sont affrontés sur la recherche du fondement de la possession et ils appuient leurs justifications par deux théories contradictoires : ce sont Frédéric de Savigny et Rudolf Von Ihering. Pour Frédéric de Savigny, la justification de la protection possessoire s'explique par la nécessité de maintenir l'ordre : d'après Savigny, si le possesseur n'est pas protégé par la loi, l'ordre social est compromis et il faut éviter l'exercice de voies de fait contre un possesseur. S'il existe un conflit entre possesseur et propriétaire, d'après Savigny le conflit devra être réglé par les tribunaux suivant une procédure normale. Ihering justifie la protection possessoire par un autre raisonnement : le pouvoir de fait coïncide le plus souvent avec le pouvoir de droit, c'est-à-dire que dans la majorité des cas, il y a identité de personne entre le possesseur et le propriétaire. Or la preuve du droit de propriété est très difficile à rapporter ; il faut donc protéger le titulaire d'un droit, mais sur la seule base d'un pouvoir de fait. Ainsi Ihering dispense le propriétaire d'avoir à rapporter la preuve du droit de propriété ; c'est donc une simplification qui est le fondement de la protection possessive.

Les deux justifications se complètent beaucoup plus qu'elles ne s'opposent ; toutefois elles conduisent à des conceptions différentes quant à la base de la protection possessoire et quand à son étendue. Ainsi si on suit la théorie de Savigny,  il convient d'élargir le plus possible l'application de la protection possessoire, mais aussi d'en limiter les effets car on ne sait pas s'il y a identité entre le possesseur et le propriétaire. Au contraire, selon la théorie de Ihering, il faut accentuer les effets de la possession puisqu'il y a rapprochement entre la notion de possesseur et de propriétaire. Par conséquent, on arrive à une conception différente au niveau des éléments constitutifs de la possession, à savoir le corpus et l'animus :

- dans la théorie subjective de Savigny, le corpus qui correspond à l'élément matériel cède sa primauté à l'animus qui n'est autre que l'intention de se comporter en propriétaire. Pour Savigny, l'animus, élément intentionnel, permet de distinguer le propriétaire d'un usurpateur.

- dans la théorie objective de Ihering, l'animus s'efface au contraire derrière le corpus et c'est le pouvoir matériel sur une chose qui va créer l'État de possession.

Le Code Civil français, rédigé à l'époque de Savigny se rattache à la conception subjective.

        3.1. Les éléments constitutifs de la possession

            3.1.1. Corpus

Le corpus se traduit par l'ensemble des actes matériels sur la chose possédée. Dans le principe, le corpus doit être exercé par le possesseur lui-même, mais le Droit Français reconnaît des exceptions à ce principe il reconnaît au possesseur le droit d'exercer le corpus par l'intermédiaire d'une autre personne et on dit alors que le possesseur exerce le corpus corpore alieno. De même, le possesseur peut acquérir le corpus par l'intermédiaire d'une autre personne ; il en est ainsi lorsque l'acquéreur d'un bien avant d'en prendre possession possède par l'intermédiaire du vendeur n'ayant pas encore livré la chose : c'est le constitut possessoire.

            3.1.2. Animus

L'animus est l'élément intentionnel : c'est la volonté d'exercer des actes matériels en qualité de titulaire d'un droit réel. L'animus apparaît donc comme le critère de distinction entre la possession et la détention et, pour faciliter la situation de fait d'un individu par rapport à une chose, le législateur a édicté certaines présomptions.

- Présomption de possession véritable : l'article 2230 pose une présomption d'animus domini ; on est présumé posséder pour soi et à titre de propriétaire

- L'article 2240 précise que l'animus s'apprécie in abstracto, c'est-à-dire par référence à un possesseur type placé dans la même situation.

- Interversion de titre : pour éviter qu'un détendeur sans animus (locataire) puisse prétendre de lui-même avoir changé d'animus, c'est-à-dire avoir adopté un animus domini, les rédacteurs du Code Civil ont posé deux règles : 

* L'article 2231 : le locataire ou l'emprunter qui prétendent avoir acquis l'animus domini doivent en faire la preuve en démontrant qu'il y a eu de leur part interversion de titre, selon les termes de l'article 2238.

* L'article 2238 édicte deux hypothèses d'interversion de titre.

Interversion par une cause venant d'un tiers : par exemple un fermier acquiert la propriété du bien qu'il détenait à titre précaire, mais non pas de la personne qui en est le propriétaire, mais d'un tiers qui se fait passer pour tel. Rien ne s'oppose en principe à ce que désormais la possession s'exerce à titre de propriétaire ; toutefois 2 conditions : d'une part, que le détendeur ait agi de bonne foi et d'autre part, qu'un changement dans sa conduite corresponde au changement de titre.

Interversion de titre par une contradiction opposée au droit du propriétaire : un détenteur extériorise un animus domini par des agissements non équivoques qui traduisent une contradiction de détenteur et celle de possesseur. Pour qu'il y ait contradiction, il faut un acte formel de délégation et cet acte peut résulter d'une délégation en justice ou d'un acte matériel ne laissant aucun doute sur les intentions l'occupant.

Enfin, en règle générale, l'animus doit exister chez le possesseur ; en principe on ne peut pas posséder animo alieno, excepté d'une part dans le cas de l'animus exercé par un père de famille pour l'enfant et d'autre part, par une personne pour un fou qu'elle aurait sous sa garde. 

Les deux éléments de la possession, le corpus et l'animus doivent être réunis : il s'ensuit que la perte d'un des deux entraîne ipso facto la perte de la possession.

Mais encore faut-il que la possession soit accompagnée de certaines qualités et exempte de vices :

Le Corpus + L'Animus = LA POSSESSION

 

        3.2. Qualité et vices de la possession

La possession produit des effets plus ou moins complets en fonction des qualités réunies. La possession viciée ne produit aucun effet.

            3.2.1. Les vices de possession

L'article 2229 énumère ces vices : discontinuité, violence, clandestinité et équivoque. Mais l'article 2229 ajoute à tort que la possession doit être à titre de propriétaire et non interrompue :

- à titre de propriétaire : la précarité n'est pas un vice, mais une absence de possession

- non interrompue : l'interruption de la possession n'est pas non plus un vice car l'interruption met fin à la possession.

Par conséquent, les seuls vices qui doivent être retenus sont la violence, la clandestinité, l'équivoque et la discontinuité. Mais tous ces vices n'ont pas la même portée :

- la violence et la clandestinité ont un caractère relatif, c'est-à-dire, qu'ils ne vont pas être opposables à tous, mais simplement à ceux pour qui la possession sera violente et clandestine. Ils ont aussi un caractère temporaire.

- la discontinuité et l'équivoque ont un caractère absolu, c'est-à-dire qu'elles sont opposables à tous (erga omnes).

                3.2.1.1. La violence

Pour Savigny, la possession se justifie par respect de l'ordre ; on ne peut donc pas reconnaître d'effets juridiques à une possession qui reposerait sur la violence. La violence va donc s'apprécier au départ de la possession.

De plus, la protection possessoire ayant pour but de conserver l'ordre établi, toute violence qui interviendrait en cours de possession ne peut être en aucun cas un vice lorsqu'elle permet à l'acquéreur de protéger son bien et non de l'acquérir.

                3.2.1.2. La clandestinité

La possession doit être publique, c'est-à-dire que les actes matériels qui caractérisent l'action du possesseur (corpus) doivent être exercés au regard de tous, connus des tiers.

                3.2.1.3. La discontinuité

La notion de continuité de la possession est à rapprocher de celle de corpus suffisant : il y a continuité lorsque l'on exerce normalement un corpus sur une chose. La cour de cassation a défini la notion de continuité et admet qu'elle s'apprécie objectivement d'après la nature de l'acte, du bien ; de plus, elle reconnaît la possibilité de conserver la possession animo solo, c'est-à-dire sans l'exercice régulier d'un corpus suffisant.

                3.2.1.4. L'équivoque

La possession suppose un animus domini, c'est-à-dire l'intention de se conduire en propriétaire ; il y a équivoque lorsque les actes accomplis ne révèlent pas suffisamment l'animus domini (article 2232).

            3.2.2. La qualité de la possession

Une possession non viciée produit toujours des effets que le possesseur soit de bonne ou de mauvaise foi, mais les effets juridiques d'une possession de bonne foi sont supérieurs et en plus grand nombre.

On a aussi une autre qualité : la durée de possession. En effet, certains effets de la possession se produisent après un certain temps, d'autres immédiatement.

 

        3.3. Les effets généraux de la possession

Les effets généraux s'appliquent aussi bien aux meubles qu'aux immeubles. Quelle que soit la psychologie du possesseur, la loi attache 3 séries d'effets à la possession non viciée.

            3.3.1. Les actions possessoires

Le fondement de la possession est la protection du possesseur ; pour arriver à cette protection le législateur a organisé 3 actions : la complainte, la dénonciation de nouvel oeuvre et la réintégrande.

- La complainte a pour but de protéger le possesseur contre les troubles de sa possession. C'est l'action générale.

- La dénonciation de nouvel oeuvre a pour objet de protéger le possesseur contre des troubles futurs consistant généralement en des travaux

- La réintégrande est une mesure d'ordre et de paix publique qui procède du principe fondamental que nul ne peut se faire justice à soi-même. Elle sanctionne les actes de possession par violence.

Ces actions ne jouent qu'en matière immobilière.

            3.3.2. Rôle de défendeur dans l'action en revendication

Celui qui se prétend propriétaire va intenter une action en revendication ; dans une telle action le possesseur a rôle de défendeur et c'est au demandeur de rapporter la preuve de son droit de propriété.

Si le demandeur n'a pas réussi à prouver son droit, le défendeur reste possesseur, même si en fait il est de mauvaise foi

            3.3.3 La possession fait acquérir le droit de propriété en matière immobilière

Même lorsqu'il est de mauvaise foi, le possesseur peut devenir titulaire d'un droit de propriété par l'effet de la prescription : c'est la prescription acquisitive. Il en est ainsi lorsqu'il peut justifier d'une possession trentenaire ; l'acquisition d'un bien par prescription trentenaire s'appelle aussi usucapion.

                3.3.3.1. Les délais pour usucaper

La loi prévoit 2 prescriptions :

- La prescription trentenaire : le temps nécessaire pour prescrire est en principe de 30 ans (article 2262 du Code Civil).

- La prescription abrégée : lorsque l'acquéreur de bonne foi a cru acquérir un immeuble du véritable propriétaire, le délai de prescription est réduit : délai de 10 ou 20 ans suivant que le propriétaire est ou n'est pas domicilié dans le ressort de la Cour d'Appel où l'immeuble se situe (article 2265 du Code Civil). Si le propriétaire a changé de domicile au cours de la prescription, on combine les délais : chaque année passée hors du ressort allonge d'une année supplémentaire les 10 ans (sans dépasser 20 ans) (article 2266 du Code Civil).

                3.3.3.2. La computation des délais

Le délai court à compter du lendemain de la prise de possession et s'achève avec l'accomplissement du dernier jour.

- La possibilité d'une jonction des possessions : on peut joindre à sa propre possession celle de son auteur :

* pour l'ayant cause universel ou à titre universel : il continue la possession de son auteur avec ses caractères juridiques (il prescrira par 10 ou 30 ans suivant que l'ayant cause était de bonne ou mauvaise foi) mais il ajoutera le temps de sa possession. :

* pour l'ayant cause à titre particulier, les possessions sont distinctes :

Si l'ayant cause à titre particulier est de bonne foi : prescription par 10 ou 20 ans et on ajoute la possession de l'auteur s'il était de bonne foi

S'il est de mauvaise foi : prescription par 30 ans mais il est possible de tenir compte de la possession de l'auteur.

- L'interruption de la prescription : les effets de la possession sont anéantis. Il existe 2 sortes d'interruption

* lorsque le possesseur a perdu matériellement la possession pendant plus d'un an soit par le fait de l'ancien propriétaire, soit par le fait d'un tiers (article 2243 du Code Civil).

* par citation en justice ou commandement signifié à celui qu'on veut empêcher de prescrire (article 2244 du Code Civil).

                3.3.3.3. L'effet de l'accomplissement des délais

La prescription n'opère pas de plein droit : il faut que le possesseur l'invoque et n'y renonce pas. Le titre qui est créé par la prescription invoquée remonte rétroactivement au jour où la possession a commencé.

            3.3.4. La possession d'un meuble

L'article 2279 du Code Civil a posé une règle "en fait de meubles, possession vaut titre".

                3.3.4.1. Les meubles visés par l'article 2279 du Code Civil

La règle ne s'applique qu'aux meubles corporels. Donc les créances, les fonds de commerce ne sont pas concernés par la règle puisque ce sont des meubles incorporels.

                3.3.4.2. La portée de la règle de l'article 2279 alinéa 1er du Code Civil

- Le possesseur d'une chose corporelle est présumé propriétaire de cette chose et cela sans avoir à présenter son titre d'acquisition.

- La présomption joue si le possesseur est de bonne foi et si la possession est exempte de vices.

- La possession d'un meuble fait acquérir instantanément la propriété. Mais pour pouvoir invoquer l'article 2279 du Code Civil, il faut être encore en possession de la chose.

2 hypothèses sont à envisager :

- Le propriétaire a perdu la possession du meuble par un acte de sa volonté : c'est le cas lorsque le propriétaire a déposé une chose chez un détenteur et ce dernier l'a vendue. Dans ce cas, l'acheteur possesseur, qui est de bonne foi, est à l'abri de toute revendication.

- Le propriétaire a perdu la possession du meuble par perte ou vol : Le propriétaire, dans ce cas, conserve son action en revendication contre le voleur et contre la personne qui l'aurait acquise (article 2279 alinéa 2 du Code Civil).

* Contre le voleur : l'action en revendication se prescrit par 30 ans car le voleur est bien sûr de mauvaise foi

* Contre le possesseur de mauvaise foi : l'action en revendication se prescrit par 30 ans

* Contre le possesseur de bonne foi : l'action en revendication ne peut être exercée que pendant 3 ans à compter de la perte ou du vol

L'article 2280 du Code Civil impose au propriétaire qui revendique, d'indemniser l'acquéreur en lui restituant le prix que la chose lui a coûté quand celle-ci a été achetée "dans une foire, ou sur un marché ou dans une vente publique ou d'un marchand vendant des choses pareilles".

 

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